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Assemblage Ariane 5 - VA261
Photo ESA/CNES/Arianespace/Optique vidéo du CSG/S. Martin

Le passage d'Ariane 5 à Ariane 6 et les défis du secteur spatial européen

14-06-2023 (Màj: 15-06-2023) Philippe Volvert. Ce contenu a été créé avec l'aide de l'IA

Mise à jour 15/06/2023

Après 27 ans de bons et loyaux services, Ariane 5 prendra sa retraite vendredi soir. Le 117ème et dernier lancement est prévu entre 21h16 et 23h01 UTC depuis le Centre Spatial Guyanais à Kourou. Pour son ultime mission, la fusée européenne sera chargée de placer sur l'orbite de transfert géostationnaire les satellites de communications Syracuse 4B et Heinrich Hertz.

Les adieux d'Ariane 5 s'inscrivent dans un contexte complexe marqué par l'attente persistante de sa relève et une concurrence féroce. Initialement prévu pour juillet 2020, le vol inaugural d'Ariane 6 a été maintes fois reporté. Actuellement, l'Agence Spatiale Européenne vise novembre 2023 pour entamer les préparatifs de ce lancement crucial pour l'avenir de l'Europe dans le domaine spatial. Bien qu'aucune date officielle n'ait été annoncée, il est probable que le premier vol d'Ariane 6 soit repoussé au début de l'année 2024.

Ariane 5 - Des débuts difficiles

Alors que le chapitre d'Ariane 5 se clôt, il est temps de faire le bilan de sa remarquable carrière commerciale. La fusée européenne s'est forgée une réputation d'excellence en matière de fiabilité et de précision. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas.

Le dernier revers majeur d'Ariane 5 remonte à décembre 2002 lors de l'introduction de la version Ariane 5ECA. Ce jour-là, un dysfonctionnement du moteur Vulcain 2 a entraîné la perte de la fusée et de ses deux satellites, précipitant leur chute dans l'Atlantique quelques minutes après le décollage. Après l'échec de la mission V157, la fiabilité d'Ariane 5 est tombée à 85,7 %, bien en dessous des attentes de 98,5 % fixées lors de sa conception. Cette perte du 14ème exemplaire d'Ariane 5 a été un coup dur pour l'Europe, qui a alors décidé de débloquer les ressources nécessaires pour améliorer la fiabilité de la cinquième génération des lanceurs européens.

Explosion Ariane 5
Explosion d'Ariane 5, quelques secondes après son décollage lors de son vol inaugural en juin 1996 - Crédit ESA

Depuis sa mise en service en juin 1996, la dernière-née d'Arianespace a connu une série de revers. Lors de son vol inaugural, Ariane 5 a explosé seulement quelques secondes après son décollage. L'année suivante, le deuxième exemplaire n'a pas réussi à atteindre l'orbite prévue, mais cela a tout de même permis de qualifier le lanceur européen. En juillet 2001, le moteur de l'étage supérieur du vol V142 a rencontré des problèmes. Bien que le satellite européen Artemis ait finalement rejoint sa position orbitale plusieurs mois plus tard, le sort du satellite japonais est beaucoup moins favorable, car il n'a pas pu être récupéré.

Ariane 5 - Une succès story spatiale

Malgré un démarrage difficile, Ariane 5 a rapidement prouvé sa capacité à non seulement atteindre précisément l'orbite ciblée, mais aussi à libérer sa charge utile avec une précision remarquable.

Bien que la grande majorité des satellites lancés par Ariane 5 soient dédiés aux applications spatiales telles que les télécommunications, la géolocalisation et la météorologie, la fusée européenne s'est également vu confier des missions scientifiques d'envergure. Son premier vol commercial a permis d'envoyer le télescope XMM-Newton, conçu pour l'observation des rayons X. Une décennie plus tard, les satellites Herschel et Planck ont été lancés vers le point de Lagrange L2, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Cependant, c'est sans aucun doute le lancement du télescope spatial James Webb de la NASA, le jour de Noël 2021, qui marquera les esprits. L'injection en orbite a été si précise que la durée de vie du télescope a été doublée.

Séparation JWST
Séparation du Webb Space Telescope, filmé par une caméra embarquée sur Ariane 5 - Crédit Arianespace

Ariane 5 ne s'est pas limitée aux observatoires astronomiques, elle a également joué un rôle crucial dans plusieurs missions d'exploration du système solaire. En 2003, la fusée européenne a envoyé la mini-sonde lunaire européenne SMART-1. Quelques mois plus tard, elle a lancé la sonde Rosetta, qui s'est placée en orbite autour de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko. En 2018, Ariane 5 a joué un rôle clé dans le lancement de la mission euro-japonaise BepiColombo, destinée à explorer la planète Mercure. Plus récemment, elle a lancé la sonde JUICE, qui sera dédiée à l'étude des lunes glacées de Jupiter. Ainsi, Ariane 5 a été un acteur essentiel dans l'exploration du système solaire.

En plus de ses nombreuses autres réalisations, Ariane 5 a joué un rôle essentiel dans le ravitaillement de la Station spatiale internationale en lançant cinq ravitailleurs ATV. Ces véhicules transportaient plus de 7 tonnes de fret à destination de la station.

Ariane 5 - Le danger venu d'outre Atlantique

Après son retour sur le pas de tir en avril 2003 suite à l'échec du vol V157, Ariane 5 doit faire face à un marché des satellites de communications en baisse. Le rythme des lancements ralentit, tant pour la fusée européenne que pour la concurrence. Il reprend deux ans plus tard mais il est loin de la cadence de la fin des années 90.

A partir de 2003, Ariane 5 ne connaît plus d'incidents majeurs et devient une référence en matière de transport spatial. Les contrats s'accumulent et les succès s'enchaînent, renforçant la position de l'Europe sur la scène internationale. Pendant ce temps, du côté américain, Boeing et Lockheed Martin choisissent de se concentrer sur les missions institutionnelles, tandis que du côté russe, la fiabilité des fusées Proton et Zenit est en constante diminution.

Forte de ses succès, l'Europe commence à dormir sur ses lauriers. Il est vrai que depuis le milieu des années 80, Ariane règne en maître sur le marché commercial, et aucun autre lanceur n'a réussi véritablement à rivaliser jusqu'à présent.

En juin 2010, SpaceX réalise avec succès le lancement inaugural de sa fusée Falcon 9. La compagnie, fondée par Elon Musk en 2002, affiche l'objectif ambitieux de réduire de manière significative les coûts de lancement, notamment en réutilisant des parties de la fusée. À l'époque, peu de gens croient en la viabilité économique de ce projet, surtout en Europe. Après plusieurs tentatives infructueuses, SpaceX parvient à réaliser un atterrissage en douceur du premier étage de Falcon 9. En mars 2017, la société luxembourgeoise SES confie son satellite SES 10 à la première fusée réutilisée au monde. Depuis lors, plus de 200 étages ont été récupérés, certains ayant effectué jusqu'à 15 vols !

Atterrissage d'un étage Falcon 9
Atterrissage d'un premier étage de la fusée Falcon 9 à Cape Canaveral - Crédit SpaceX

Au fil du temps, SpaceX a acquis une crédibilité croissante, devenant même un acteur incontournable de l'industrie spatiale. Avec une offre de lancement à 67 millions de dollars pour l'envoi de 8,3 tonnes vers l'orbite de transfert géostationnaire, la société attire de nombreux clients. En comparaison, Ariane 5 se trouve en retrait avec un coût de 150 millions de dollars pour envoyer 10,2 tonnes sur la même orbite.

En réponse à l'impact économique majeur de SpaceX, l'Europe réagit de manière prudente en proposant Ariane 6, une fusée largement inspirée de son prédécesseur, mais avec des coûts de production prévus pour être réduits de moitié. La nouvelle fusée européenne est avant tout taillée pour un marché des satellites géostationnaires en pleine décroissance. Cependant, contrairement à Ariane 5, dont l'architecture était figée, Ariane 6 pourra évoluer afin de mieux s'adapter aux demandes du moment, notamment à l'augmentation du nombre de projets de constellations satellitaires.

L'après Ariane 5

Initialement, une transition en douceur était prévue entre Ariane 5 et Ariane 6. La première fusée devait être opérationnelle jusqu'en 2023, tandis que la seconde devait entrer en service dès juillet 2020. Malheureusement, les défis rencontrés lors du développement de la nouvelle fusée européenne, auxquels s'est ajoutée la pandémie, ont compromis le calendrier très optimiste établi par ArianeGroup, le maître d'oeuvre du projet.

Avec le départ d'Ariane 5, le secteur du transport spatial européen se retrouve confronté à un vide qui devrait persister pendant plusieurs mois. C'est la première fois depuis la création de la première génération d'Ariane que l'Europe se voit privée d'un accès indépendant à l'espace. Cette situation est d'autant plus critique qu' Arianespace ne peut plus compter sur la fusée Soyuz pour combler ce vide, suite à la décision des autorités russes de suspendre la coopération avec l'Europe en raison du conflit en Ukraine. De plus, la situation s'est encore aggravée en décembre 2022 avec l'échec du lancement de VEGA-C, ce qui immobilise la dernière fusée commerciale proposée par Arianespace pour de nombreux mois.

En raison du manque de lanceurs disponibles, l'Europe se trouve dans l'obligation de se tourner vers SpaceX, le seul acteur du secteur spatial capable de proposer des créneaux de lancement permettant d'envoyer les satellites à la date souhaitée. Cette dépendance envers SpaceX souligne les défis actuels auxquels est confrontée l'Europe pour assurer ses besoins en termes de lancements spatiaux.

Selon les informations révélées lors du point de situation sur les préparatifs du premier vol d'Ariane 6, communiqué début juin par l'Agence Spatiale Européenne, les tests combinés devraient bientôt commencer. Ces tests incluent deux répétitions générales avec les ergols et un essai de longue durée du moteur principal sur le pas de tir. Un autre test moteur, simulant un profil de vol nominal similaire à celui prévu pour le vol inaugural, est prévu en Allemagne au cours du mois de juillet. Si toutes ces étapes se déroulent sans problème, l'assemblage du premier exemplaire d'Ariane 6 devrait débuter en novembre. Une dernière répétition générale avec les ergols permettra de valider les installations au sol et marquera le début des derniers préparatifs en vue du premier lancement prévu dans les semaines qui suivent.

Sources

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