La startup allemande Isar Aerospace s’apprête à lancer sa fusée Spectrum, avec pour ambition de devenir le premier acteur privé européen à atteindre l’orbite. Jusqu’ici dominé par des agences gouvernementales et de grands groupes industriels, le transport spatial en Europe pourrait connaître un tournant majeur si ce vol d’essai s’avère être un succès. Avec ce lancement, Isar Aerospace veut prouver que l’Europe est prête à rivaliser avec des acteurs comme SpaceX ou Rocket Lab et à ouvrir une nouvelle ère pour l’accès à l’espace.
Spectrum doit décoller depuis Andøya Spaceport en Norvège ce lundi au cours d’une fenêtre de tir de 3 heures qui s’ouvre à partir de 11 heures 30 UTC.
La mission, baptisée « Going full Spectrum », ne transportera aucun satellite, mais embarquera de nombreux capteurs afin de collecter un maximum de données tout au long du vol. Ce premier test en conditions réelles permettra à Isar Aerospace d’évaluer les performances de Spectrum et de valider l’intégration de l’ensemble de ses systèmes développés en interne. L’objectif est d’acquérir une précieuse expérience et préparer la future carrière commerciale du lanceur privé.
Spectrum est un lanceur léger à deux étages, mesurant 28 mètres de haut pour 2 mètres de diamètre. Conçu pour le marché en pleine expansion des petits satellites, il est capable de placer jusqu’à une tonne de charge utile en orbite basse ou 700 kg sur une orbite héliosynchrone, répondant ainsi aux besoins croissants des opérateurs de satellites et des missions institutionnelles.
Pour sa propulsion, Spectrum utilise un mélange d’oxygène liquide et de propane, une combinaison peu courante dans le domaine des lanceurs. Comparé aux ergols traditionnels, comme le kérosène, ce mélange présente plusieurs avantages : il offre une impulsion spécifique plus élevée, améliorant ainsi l’efficacité du moteur, tout en réduisant l’empreinte carbone du lanceur. Isar Aerospace mise sur cette approche pour proposer une solution plus propre et plus efficiente aux acteurs du secteur spatial.
La propulsion de Spectrum repose sur le moteur Aquila, une technologie développée en interne par Isar Aerospace. Ce moteur fait largement appel à l’impression 3D pour la fabrication de ses composants critiques, permettant ainsi une réduction des coûts et des délais de production, tout en optimisant les performances et la fiabilité. Le premier étage du lanceur est équipé de neuf moteurs Aquila, chacun fournissant une poussée de 75 kN, tandis que le second étage en embarque un seul, configuré pour fonctionner dans le vide spatial, avec une poussée de 95 kN. Cette architecture rappelle celle d’Electron de RocketLab, assurant une poussée modulable et une redondance accrue pour maximiser les chances de succès du vol.
Fondée en 2018, Isar Aerospace est une startup allemande née de l’initiative de trois ingénieurs passionnés par l’exploration spatiale : Markus Brandl, Josef Peter Fleischmann et Daniel Metzler. Ce dernier occupe également le poste de CEO, pilotant le développement stratégique de l’entreprise. Basée à Ottobrunn, près de Munich, la société tire son nom de la rivière Isar, qui traverse la capitale bavaroise et symbolise son ancrage local.
Contrairement aux lanceurs européens traditionnels, soutenus par des financements publics via l’Agence Spatiale Européenne et les États membres, Isar Aerospace repose exclusivement sur des fonds privés. Depuis sa création, l’entreprise a réussi à lever 310 millions d’euros auprès d’investisseurs de renom, dont le constructeur automobile Porsche Automobil Holding SE et plusieurs groupes d’investissement. Cette confiance du secteur privé souligne le potentiel d’Isar Aerospace à s’imposer comme un nouvel acteur compétitif face aux opérateurs comme SpaceX ou encore RocketLab.
Isar Aerospace ambitionne de devenir un acteur clé du transport spatial en Europe en proposant des lancements à un prix compétitif. L’entreprise vise un coût de lancement d’environ 15 000 €/kg, un tarif conçu pour séduire aussi bien les opérateurs de satellites commerciaux que les institutions recherchant des alternatives aux lanceurs institutionnels comme Vega-C ou Ariane 6. Avec un objectif de 15 lancements par an, la société espère atteindre un rythme industriel permettant d’assurer une offre fiable et flexible à ses clients. La société est en train de construire un nouveau site de production de 40 000 m2 qui permettra de produire jusqu’à 40 lanceurs annuels.
Isar Aerospace a annoncé le 19 novembre 2024 avoir reçu une aide de 15 millions d’euros de l’ESA dans le cadre du programme « Boost ! » initié par l’agence spatiale européenne. Ces fonds sont spécifiquement destinés à financer les deux premiers essais en vol du lanceur Spectrum, couvrant ainsi une partie des coûts liés au développement, aux tests et aux opérations de lancement. Ce soutien illustre la volonté de l’ESA d’accompagner les startups innovantes qui ambitionnent d’offrir une alternative aux solutions institutionnelles existantes, et de renforcer l’indépendance de l’Europe en matière d’accès à l’espace.
Le programme « Boost ! » de l’ESA a pour objectif de favoriser l’émergence de nouveaux acteurs privés en Europe en leur offrant un soutien financier et technique. En encourageant le développement de solutions de lancement indépendantes, l’ESA cherche à diversifier l’offre européenne et à renforcer sa compétitivité face aux entreprises internationales déjà bien établies.
Isar Aerospace n’est pas la seule société à bénéficier de ce programme. D’autres startups européennes du secteur spatial, telles que Rocket Factory Augsburg et HyImpulse en Allemagne, ainsi que Orbex Space au Royaume-Uni, ont également reçu des financements de l’ESA pour développer leurs propres lanceurs. Cette stratégie vise à stimuler l’innovation et à accroître l’autonomie de l’Europe en matière d’accès à l’espace.
Dans un premier temps, Isar Aerospace utilisera la base norvégienne Andøya Spaceport comme principal site de lancement pour son lanceur Spectrum. Cependant, l’entreprise prévoit également d’opérer depuis la Guyane française, après avoir signé en 2023 un accord avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES). Cet accord lui permettra de réutiliser l’ancien pas de tir des fusées Diamant, qui avaient marqué les débuts de l’Europe dans l’accès à l’espace au début des années 1970 depuis le Centre Spatial Guyanais.
Le 2 novembre 2023, Andøya Spaceport a été officiellement inauguré en présence du prince héritier Haakon de Norvège, devenant ainsi le premier port spatial orbital opérationnel d’Europe continentale. Toutefois, le site possède une longue tradition dans le domaine des lancements suborbitaux. Ses activités remontent aux années 1960, lorsque la Norvège a fait ses premiers pas dans l’ère spatiale en étroite collaboration avec les Etats-Unis. Le 18 août 1962, la fusée-sonde Ferdinand 1, une Nike-Cajun américaine à deux étages, a été lancée depuis Andøya, marquant la première mission suborbitale effectuée au départ de la Norvège. Depuis, plus de 1 200 fusées-sondes y ont été tirées, notamment pour le compte de la NASA et d’instituts de recherche du monde entier.
Dans les années 1980, Andøya a diversifié ses activités en proposant des services de lâcher de ballons-sondes, avec plus d’une vingtaine de ballons lancés à ce jour. En 1994, la base s’est enrichie d’un observatoire scientifique unique : l’Arctic Lidar Observatory for Middle Atmosphere Research (ALOMAR), spécialisé dans l’étude de l’atmosphère arctique. En complément, le site héberge également le plus grand radar VHF du nord de l’Europe, utilisé pour des recherches sur l’ionosphère et la météorologie spatiale.
Situé sur l’île d’Andøya, dans l’archipel des Vesterålen, au nord de la Norvège, le centre spatial bénéficie d’une position géographique stratégique. Il dispose de six pas de tir dédiés aux missions suborbitales, auxquels se sont ajoutés deux pas de tir orbitaux, dont Isar Aerospace détient l’exclusivité. Placé sous la supervision du Ministère norvégien du Commerce et de l’Industrie, ainsi que de l’organisation Andøya Space, le site est conçu pour répondre aux besoins croissants du secteur spatial commercial.
Grâce à sa localisation sur la côte nord de la Norvège, Andøya Spaceport offre une large gamme d’inclinaisons de lancement, allant de 90° à 110,6°, idéales pour placer des satellites en orbite polaire ou héliosynchrone (SSO). Ces orbites sont particulièrement prisées pour l’observation de la Terre, la météorologie, ainsi que pour de nombreuses missions scientifiques et technologiques nécessitant une couverture globale et régulière.
Sources