Depuis son arrivée au Bureau Ovale, Donald Trump n’a jamais caché son désintérêt pour les sciences. Lors de sa campagne électorale, il promettait des coupes budgétaires massives au sein des administrations fédérales, ciblant les services qu’il jugeait coûteux ou inutiles. Parmi les initiatives mises en place pour atteindre cet objectif figurait la création du DOGE (Department of Government Efficiency), confiée à Elon Musk, PDG de SpaceX et Tesla, avec l’ambition de réaliser jusqu’à 3 000 milliards de dollars d’économies par an. Dans un tel contexte, il était évident que la NASA, symbole des dépenses fédérales en matière de recherche et d’exploration, ne serait pas épargnée. Restait à déterminer l’ampleur réelle des coupes.
Au début de mars 2025, The Planetary Society sonnait l’alarme dans un article qualifiant les réductions budgétaires envisagées pour la NASA d’« événement d’extinction » pour la science et l’exploration spatiales. Selon leurs informations, le budget scientifique de l’agence serait réduit de moitié, revenant ainsi à des niveaux inédits depuis l’ère Reagan, tandis que le budget global de la NASA serait diminué de 25 % dès l’année fiscale 2026. Pour The Planetary Society, ces coupes « pourraient anéantir le système éducatif national en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM) et décimer la main-d'œuvre scientifique et technique la plus compétente au monde ».
Dans la foulée, Donald Trump annonçait la nomination de Jared Isaacman à la tête de la NASA. Isaacman, milliardaire, astronaute commercial et entrepreneur, n’est pas un inconnu du monde spatial. En 2021, il commandait Inspiration4, premier vol orbital entièrement financé sur fonds privés, puis en 2023, il réalisait la première sortie extravéhiculaire par un astronaute non professionnel lors de la mission Polaris Dawn, toujours à bord d’un Crew Dragon de SpaceX. Outre son statut de client important de SpaceX, Isaacman, via sa société Shift4 Payments, gère également les paiements mondiaux liés à Starlink, la constellation internet de SpaceX.
Sa nomination a immédiatement soulevé des questions de conflit d’intérêts. Les observateurs craignent qu’en plaçant un proche allié à la tête de l’agence spatiale américaine, Elon Musk ne cherche à orienter les priorités nationales vers ses propres objectifs : l’abandon progressif de la Lune pour concentrer les efforts sur Mars, son rêve ultime. Lors de son audition au Sénat le 8 avril, Isaacman a tenté de rassurer les élus, promettant un « âge d’or de la science et des découvertes », tout en réaffirmant l’importance du programme Artemis, destiné à ramener des humains sur la Lune avant 2028. Mais, interrogé à plusieurs reprises, il a refusé de dire si Musk était présent lorsque Trump l’a approché pour le poste.
Le programme Artemis, lancé en 2017 sous la première présidence Trump, a déjà englouti plusieurs milliards de dollars, impliquant des milliers de personnes et des partenaires internationaux comme l’Europe, le Japon ou le Canada. Un premier vol habité autour de la Lune est prévu pour 2026, et la station Gateway, avant-poste lunaire en construction, est censée jouer un rôle central. Mais les annonces récentes de la Maison Blanche indiquent que ce programme pourrait être profondément restructuré : abandon de la fusée lourde SLS (Space Launch System) et du vaisseau Orion après seulement trois missions, arrêt du développement de la station Gateway, et recentrage vers des solutions commerciales jugées plus rentables.
Pour rappel, Artemis avait pour objectif initial une mission lunaire habitée réalisée avant 2028. L’ échéance fut avancée à 2024, notamment pour coïncider avec une éventuelle réélection de Trump. Sous l’administration Biden, cette course a été largement soutenue, le président et l’ancien patron de la NASA, Bill Nelson, insistant sur l’importance d’envoyer des astronautes américains sur la Lune avant 2030, afin de devancer la Chine, qui prépare activement sa propre mission habitée vers la surface lunaire à cet horizon en collaboration avec la Russie notamment.
À cette réorientation s’ajoute la décision d’annuler la mission de retour d’échantillons martiens, initialement envisagée pour 2030. Jugée trop coûteuse (près de 10 milliards de dollars) et trop complexe sur le plan technique, cette opération est désormais reléguée au second plan, l’idée étant qu’une future mission habitée vers Mars pourrait elle-même rapporter ces précieux échantillons.
De son côté, Elon Musk, qui ambitionne depuis des années la colonisation martienne, plaide pour un désengagement rapide de l’exploitation de l’ International Space Station — qu’il souhaiterait voir abandonnée sous deux ans — et pour une réduction du rôle d’Artemis, afin de concentrer les ressources sur Starship, le vaisseau censé transporter les premiers humains vers la Planète Rouge.
Mais l’impact des coupes ne s’arrête pas à l’exploration spatiale. Le budget 2026 de la NASA prévoit également des réductions sévères dans l’observation de la Terre, notamment sur le programme Landsat Next, un satellite destiné à prendre la relève des systèmes actuels vers 2030, tandis que plusieurs satellites de surveillance climatique seraient purement annulés.
Les centres de recherche, en particulier le Goddard Spaceflight Center, principal pôle scientifique de la NASA, verraient leur budget réduit de moitié, compromettant nombre de projets scientifiques et technologiques en cours. Parallèlement, la présence américaine à bord de l’ISS serait progressivement diminuée : réduction des équipages, limitation des activités scientifiques, et désorbitation programmée vers 2030, bien que la station resterait opérationnelle jusqu’à ce que les stations privées en développement prennent le relais.
Au-delà du spatial, la NASA mène aussi des recherches dans le secteur aéronautique, notamment pour améliorer l’efficacité énergétique et réduire l’impact environnemental des avions. Ces programmes, jugés non prioritaires par l’administration Trump, seraient eux aussi arrêtés. Les coupes budgétaires incluraient la suppression des programmes éducatifs et STEM, considérés par l’exécutif comme trop progressistes.
Enfin, le télescope Nancy Grace Roman, destiné à l’étude de l’énergie sombre et des exoplanètes, et déjà bien avancé (prévu pour un lancement en 2027), pourrait être annulé. Ironiquement, ce télescope est basé sur un miroir de 2,4 mètres récupéré d’un projet de satellite espion abandonné par la National Reconnaissance Office.
Face à cette avalanche de réductions, tout repose désormais sur le Congrès, qui doit approuver ou bloquer les propositions budgétaires. Historiquement, le soutien bipartisan à la NASA a souvent permis de préserver des pans entiers de l’agence face aux velléités présidentielles. Mais la ligne budgétaire édictée par l’administration Trump s’annonce comme un test décisif : l’avenir du spatial américain dépend désormais des choix politiques à venir, entre maintien d’une ambition scientifique large ou recentrage radical sur la seule conquête martienne.
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