Pour comprendre l'origine du nom « Chang-Zheng », traduit en français par « Longue Marche » et utilisé pour désigner tous les lanceurs gouvernementaux chinois, il est essentiel de plonger dans son étymologie. Ce nom évoque le périple historique de plus d'un an réalisé par l'Armée populaire de libération et une partie du Parti communiste chinois. Cette marche visait à échapper à l'Armée nationale révolutionnaire du Kuomintang de Tchang Kaïchek durant la guerre civile chinoise. C'est pendant cette marche que Mao Zedong a consolidé sa position en tant que leader des communistes chinois. Ces événements symboliques ont finalement conduit à la création de la République populaire de Chine.
Le nom « Chang-Zheng » désigne une vaste gamme de lanceurs spatiaux répondant aux besoins du gouvernement chinois. Dans un premier temps, les versions progressent de manière séquentielle, de Chang-Zheng 1 à Chang-Zheng 4. En 2015, la Chine lance une nouvelle génération de lanceurs modulaires pour remplacer les fusées dont la technologie date des années 70. Parallèlement, des versions intermédiaires sont développées pour compléter cette gamme et répondre à tous les besoins nationaux. Dès lors, la numérotation des versions ne respecte plus forcément une suite chronologique.
L'histoire de l'astronautique chinoise débute après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le Parti communiste décide de développer des missiles balistiques. La Chine se tourne alors vers l'Union soviétique pour acquérir les connaissances nécessaires à ce projet. Avec l'aide soviétique, la Chine conçoit le Dong-Feng 1, inspiré de la version soviétique du missile allemand V2. La détérioration des relations sino-soviétiques au début des années 60 ralentit cette collaboration. Cependant, la Chine persiste dans ses ambitions spatiales et militaires. À la même époque, Qian Xuesen, un scientifique de haut niveau expulsé des États-Unis durant le maccarthysme, retourne en Chine. Cofondateur du Jet Propulsion Laboratory (NASA), il devient rapidement directeur de l'Académie de recherche n° 5 dépendant du ministère de la défense nationale, créée en octobre 1956, qui supervise le développement des missiles Dong-Feng.
Le missile qui nous intéresse est le Dong-Feng 4, un missile balistique à propergols liquides de portée intermédiaire, capable d'atteindre des cibles à 4 750 km. Conçu pour transporter une ogive nucléaire de 1 à 3 mégatonnes, ses premiers essais en vol ont eu lieu fin 1969 depuis la base de Jiuquan en Mongolie-Intérieure à la limite du désert de Gobi. En 1970, un exemplaire a été reconverti en lanceur spatial sous le nom de « Chang-Zheng 1 ».
Environ vingt missiles Dong-Feng 4 ont été déployés par l'Armée populaire de libération à partir de 1980. Prévus pour être remplacés par des Dong-Feng 31 à propergols solides plus maniables au début des années 2000, entre 10 et 15 missiles Dong-Feng 4 étaient encore opérationnels en 2017 près de Lingbao, dans la province du Henan.
Le développement de la fusée Chang-Zheng 1 a commencé en 1965 sous la direction de Wang Xi-ji, chef adjoint de l'Académie de mécatronique de Shanghai. Face à un manque d'expérience dans le développement de grandes fusées, Wang Xi-ji s'est basé sur le missile Dong-Feng 4, en ajoutant un troisième étage à propergols solides. Par la suite, le programme a été transféré à la Première Académie (future CALT), avec Ren Xin-min comme concepteur en chef.
La mise au point de la fusée a été fortement perturbée par les troubles politiques de la Révolution culturelle, empêchant de respecter l'objectif de 1968 pour placer un satellite en orbite.
La carrière de la Chang-Zheng 1 s'est limitée aux exemplaires produits en 1969. L'un d'eux lance avec succès le satellite Dongfanghong 1 en avril 1970, hissant de la Chine la cinquième puissance spatiale et en jetant les bases de la série de fusées porteuses Chang-Zheng.
Bien que des versions améliorées de la Chang-Zheng 1 aient été envisagées des années plus tard, aucune ne s'est concrétisée comme lanceur orbital.
Le Dong-Feng 5 est le premier missile balistique intercontinental développé par la Chine. Son développement a débuté en 1965, parallèlement à celui du Dong-Feng 4. Conçu pour transporter une ogive nucléaire de 1 à 3 mégatonnes sur une distance de 12 000 km, son premier essai en vol a eu lieu en septembre 1971. Ce n'est cependant qu'en 1981 que l'Armée populaire de libération l'a déployé dans des silos renforcés au centre de la Chine.
Le Dong-Feng 5 a commencé sa carrière spatiale en 1973 sous le nom de Feng-Bao, puis sous celui de Chang-Zheng 2 l'année suivante. Si la première lignée a disparu au début des années 80 après la mort de Mao, la seconde a prospéré pendant plusieurs décennies, donnant naissance à plusieurs familles de lanceurs spatiaux encore en service aujourd'hui.
La série de lanceurs Chang-Zheng 2 est produite par la CALT (Chinese Academy of Launch Vehicle Technology) dans une usine située à Pékin. Elle est conçue principalement pour l'envoi de satellite sur l'orbite basse.
Chang-Zheng 2 est mis en service en novembre 1974. Malheureusement, le lancement se solde par un échec quelques secondes après le décollage. Des corrections sont apportées sur la fusée, qui devient Chang-Zheng 2A. La carrière des versions Chang-Zheng 2A et 2C sont étroitement liées à celle des satellites FSW qui seront leur unique charge utile. Il s'agit de capsules récupérables d'environ 1,8 tonne, dédiées à la reconnaissance optique.
Au fil du temps, Chang-Zheng 2C sera modernisée et parfois affublée d'un étage additionnel pour l'envoi de satellites sur des orbites particulières.
Le développement du lanceur Chang-Zheng 2D a commencé en février 1990, et le premier lancement a eu lieu le 9 août 1992. Chang-Zheng 2D a été conçue pour les orbites basses et héliosynchrones. Contrairement à Chang-Zheng 2A et 2C, Chang-Zheng 2D est produite par la SAST (Shanghai Academy of Spaceflight Technology).
Chang-Zheng 2E a été développée à la fin des années 80 afin d'être proposée sur le marché des satellites commerciaux visant l'orbite de transfert géostationnaire. Elle utilise un premier étage modifié de Chang-Zheng 2C et est équipée de quatre boosters. Cette version commerciale de la fusée chinoise entre en service en juillet 1990 et sera utilisée jusqu'en 1995 avant d'être abandonnée au profit de la série des Chang-Zheng 3.
Afin de proposer sa gamme de lanceurs sur le marché des satellites commerciaux, la Chine met en place au début des années 80, la CGWIC (China Great Wall Industry Corporation) l'équivalent chinois d'Arianespace.
Chang-Zheng 2F et 2FT sont les fusées conçues pour envoyer des taïkonautes dans l'espace à bord des vaisseaux Shenzhou. Elles sont largement inspirées de Chang-Zheng 2E qui ont été modifiées pour le transport d'équipage, notamment ses systèmes électroniques et de contrôle embarqués qui ont été repensés avec une redondance.
La série des Chang-Zheng 3 est conçue spécifiquement pour les orbites hautes et notamment l'orbite géostationnaire, très prisée pour les télécommunications. Avec cette nouvelle gamme de lanceurs, la Chine comptait capter une partie du marché des satellites commerciaux et entrer en concurrence direct avec l'Europe ou les Etats-Unis en proposant des lancements à des prix très compétitifs.
Pour atteindre les performances souhaitées, la Chine opte pour la propulsion cryogénique sur le troisième étage de la fusée basée sur la Chang-Zheng 2C.
La première mouture de Chang-Zheng 3 est mise en service en avril 1984 mais rapidement l'étage cryogénique est remplacé par un plus performant, permettant d'accroitre la capacité de la fusée de 300 kg.
En avril 1990, elle place sur orbite AsiaSat 1, le premier satellite d'occasion. Dans les années 80, il avait été lancé par la navette américaine sous le nom de Westar 6. Mais suite d'une défaillance de son moteur, le satellite ne peut rejoindre son orbite définitive. Il est récupéré quelques mois plus tard par une autre navette pour des travaux de maintenance chez son constructeur Hughes Space. Il est ensuite racheté par la société Asia Satellite Telecommunications qui le fait lancer par une fusée chinoise.
Chang-Zheng 3 est remplacée au milieu des années 90 par le trio Chang-Zheng 3A, 3B et 3C. Ces trois versions se distinguent l'une de l'autre par le nombre de booster accolés au premier étage. Au début des années 2000, le premier étage et les boosters sont allongés, permettant l'emport de plus d'ergols et augmentant ainsi les performances de la fusée.
Taillés pour le marché des satellites commerciaux, ces lanceurs seront rapidement confinés au marché intérieur en raison de la Réglementation américaine sur le trafic d'armes au niveau international (ITAR) qui interdit l'exportation de matériels comportant des composants jugés sensibles par les Etats-Unis sur des fusées chinoises. Ainsi, les satellites fabriqués par l'Occident ou utilisant des pièces sensibles ne peuvent être lancés par la Chine.
Le développement de Chang-Zheng 4A a débuté en 1982 dans le bureau d'études de la SAST. A l'origine, il devait servir de secours pour Chang-Zheng 3 afin de lancer les satellites de communications chinois. Après la mise en service réussie de cette dernière, Chang-Zheng 4A s'est focalisée sur les orbites basses, héliosynchrones ou fortement elliptiques.
Chang-Zheng 4A aura eu une carrière très courte, ne comptant que deux lancements entre 1988 et 1999 avant d'être remplacée par Chang-Zheng 4B.
Chang-Zheng 4C se distingue de Chang-Zheng 4B par un nouvel inter-étage reliant le premier du second étage et un troisième étage réallumable.
La nouvelle génération de lanceurs chinois repose sur des modules propulsifs de taille standard, dotés de moteurs utilisant des ergols non toxiques. Cette génération vise à progressivement remplacer les lanceurs Chang-Zheng issus du missile Dong-Feng 5, tout en répondant aux nouveaux besoins de la Chine en matière d' exploitation orbitale et d'exploration spatiale.
Le point commun entre toutes ces nouvelles versions Chang-Zheng est l'utilisation du moteur YF-100, conçu par l'Academy of Aerospace Liquid Propulsion Technology. Il repose sur les technologies du moteur russe RD-120 acquises par la Chine dans les années 1990. Le moteur brûle un mélange kérosène/oxygène liquide.
Depuis la seconde moitié des années 1990, le programme spatial chinois s'est développé de façon plus soutenue. Les lanceurs utilisés jusque-là répondaient parfaitement aux besoins nationaux, mais les ambitions futures exigeaient une fusée de capacité supérieure.
En juin 2004, le gouvernement chinois a approuvé le développement de Chang-Zheng 5, un lanceur de grande capacité. Son architecture repose sur un corps central de 5 mètres de diamètre autour duquel sont accolés quatre blocs moteurs. Dans cette configuration (version Chang-Zheng 5B), la fusée est en mesure de placer une charge de 23 tonnes sur l'orbite basse. Equipée d'un deuxième étage (version Chang-Zheng 5), ce sont 14 tonnes qui peuvent être transportés sur l'orbite de transfert géostationnaire. En ajoutant le petit étage YZ-2, dérivé de celui utilisé sur Chang-Zheng 3, il est même possible de rallier directement l'orbite géostationnaire.
Chang-Zheng 5 va jouer un rôle central dans le programme spatial chinois, notamment dans la construction de la « Chinese Space Station », un complexe orbital de taille comparable à celle de la station russe Mir ou encore l'envoi de sondes d'exploration du système solaire.
L'exploitation de Chang-Zheng 5 va amener les autorités chinoises à développer une infrastructure adaptée au lanceur lourd. Les trois sites de lancement utilisés par l'ancienne génération de fusées chinoises étaient situés à l'intérieur des terres. Les usines étaient reliées à ces sites par des chemins de fer, limitant la taille des éléments à un diamètre de 3,35 m et une longueur d'environ 14 m. Etant donné le diamètre plus imposant de Chang-Zheng 5, il a été nécessaire de construire une usine à Tianjin, sur la côte est de la Chine continentale. Les éléments sont acheminés par bateau au centre spatial de Wenchang , dans la province insulaire de Hainan, à l'extrême sud du pays. Il dispose de deux complexes de lancement dont un construit pour Chang-Zheng 5.
Le développement du Chang-Zheng 6 a commencé en 2009 sous la direction de la SAST. Capable de placer une tonne en orbite héliosynchrone, il représente la version légère de la gamme Chang-Zheng.
Le pas de tir de Chang-Zheng 6 est réduit à sa plus simple expression. Il dispose d'une structure pour les connexions ombilicales qui servent au remplissage en ergols ainsi que l'alimentation électrique du lanceur. La conception même du lanceur et de ses infrastructures permettent de réduire à 7 jours la durée d'une campagne de lancement contre 30 à 40 jours pour une version classique de Chang-Zheng.
Avant même la mise en service du Chang-Zheng 6 en 2015, la SAST avait déjà commencé à développer des versions plus performantes du lanceur. Les versions 6A et 6C présentent une architecture similaire à celle du Chang-Zheng 7, partageant le même premier étage. La principale différence entre les versions 6A et 6C réside par la présence ou non de quatre boosters à propergols solides.
Chang-Zheng 6A et 6C sont essentiellement utilisées pour envoyer des charges utiles sur les orbites héliosynchrones.
Une étude de la CASC (China Aerospace Science & Technology Corporation) a révélé que 80 % des satellites à lancer par la Chine dans les deux prochaines décennies correspondent à une masse comprise entre 2 et 20 tonnes. Dans la foulée, elle a démarré le développement de la série Chang-Zheng 7, spécifiquement destinée à répondre à ces besoins. Ce nouveau lanceur se situe dans le tonnage moyen, avec une capacité de 13,5 tonnes en orbite basse à 6 tonnes vers l'orbite de transfert géostationnaire.
La conception de Chang-Zheng 7 a débuté en mai 2010 sous la supervision de la CASC (China Aerospace Science & Technology Corporation). Deux versions ont été mises en service à ce jour :
Chang-Zheng 8 est une série de lanceurs partiellement réutilisables. Son architecture générale est similaire à celle du Chang-Zheng 7A, mais sans le deuxième étage. À ce jour, deux versions ont été mises en service, se différenciant par la présence ou non de deux boosters identiques à ceux utilisés sur le Chang-Zheng 7A.
Le premier étage a été modifié pour permettre un atterrissage vertical, à l'instar du Falcon 9. Pour la version équipée des deux boosters, ces derniers resteront attachés au premier étage afin de faciliter leur récupération.
Chang-Zheng 11 dénote dans la famille puisqu'il est le seul à utiliser uniquement la propulsion à propergols solides. Il ne possède aucun élément en commun avec les autres lanceurs Chang-Zheng. Il est destiné à couvrir les besoins pour les satellites de petites tailles, sans avoir recourt à Chang-Zheng 6 d'une capacité largement supérieure.
Le Chang-Zheng 11 est un lanceur léger développé par l'AASPT (Academy of Aerospace Solid Propulsion Technology), une filiale de la CALT (China Academy of Launch Vehicle Technology). Conçu pour des lancements rapides et économiques, le Chang-Zheng 11 offre une grande facilité d'utilisation. Il peut rester stocké pendant de longues périodes et être lancé de manière fiable en moins de 24 heures.
Avec un diamètre de 2 mètres, il s'agit vraisemblablement d'un dérivé du missile intercontinental à trois étages Dong-Feng 31 dont la portée est estimée entre 7 000 et 11 700 km.
La première apparition du missile remonte à 1999 lors d'une parade militaire mais il a fallu attendre 2006 avant qu'il ne soit déployé comme système de défense en raison des retards dans l'acquisition du système de guidage du missile.
Comme pour le Deng-Fong 31, Chang-Zheng 11 est tiré depuis un tracteur-érecteur-lanceur mobile. La fusée est tout d'abord éjectée par du gaz froid, puis le moteur du premier étage s'active à quelques mètres d'altitude.
Depuis 2019, il existe une version adaptée pour les tirs effectués depuis une barge stationnée en Mer Jaune. Chang-Zheng 11H est identique à la version terrestre du lanceur.
Sources