Le déclenchement de la guerre en Ukraine a conduit les Occidentaux à imposer une série de sanctions visant à impacter la Russie. Certaines d'entre elles auront des conséquences dans le domaine spatial, notamment au niveau de la coopération avec les différents partenaires.
Depuis la chute de l'Union Soviétique en 1991, la Russie est devenue un partenaire de premier ordre pour les Etats-Unis et l'Europe, notamment pour certains projets de grande envergure. L'invasion de l'Ukraine pourrait mettre à mal plusieurs d'entre eux.
Bien qu'il soit difficile de savoir comment va évoluer la situation prochainement, il parait intéressant de se pencher sur les programmes auxquels les Russes collaborent étroitement.
S'il y a bien un programme dans lequel la Russie est particulièrement active, c'est bien celui de la station spatiale internationale. Non seulement elle est propriétaire de modules essentiels au fonctionnement du complexe orbital, mais elle participe également à son exploitation en acheminant régulièrement du fret et en procédant à la relève des équipages.
La Russie est aussi en charge du maintien du complexe orbital sur son orbite. Plusieurs fois par an, elle procède à une rehausse de l'altitude à l'aide des moteurs dont disposent les cargos Progress. Sans cette manoeuvre, la station spatiale s'enfoncerait inexorablement dans les hautes couches atmosphères pour s'y désintégrer.
Dans un communiqué, la NASA a déclaré que les nouvelles mesures de contrôle des exportations contre la Russie « continueront à permettre la coopération spatiale civile entre les Etats-Unis et la Russie ». Le travail se poursuit à bord de l'ISS et les prochains équipages continuent leur entraînement de façon normale. Le lancement du vaisseau Soyuz MS-21 avec trois cosmonautes russes à son bord est maintenu pour le 18 mars prochain.
Peut-on envisager que la Russie débarque de l'ISS ? A l'heure actuelle, il est fort peu probable qu'elle décide de quitter le navire pour plusieurs raisons. D'une part, les différents éléments dont elle dispose ne permettent pas de voler en toute autonomie. Exit l'idée d'une station Mir 2 avec les modules russes constituant l'ISS. D'autre part, il n'est pas sûr que la Russie puisse assumer financièrement à elle seule l'exploitation d'une station spatiale. De plus, il est techniquement difficile de réutiliser du matériel pour une utilisation différente de celle pour lequel il a été conçu. Il faut donc oublier l'idée d'amarrer les modules russes à la station spatiale chinoise en cours de construction.
La Russie coopère avec l'Europe dans plusieurs domaines depuis de nombreuses années. Le projet phare est sans conteste la présence de la fusée Soyuz au Centre Spatial Guyanais. Le calendrier d'Arianespace prévoit 3 lancements depuis Kourou pour l'année 2022 dont un premier fixé le 06 avril pour placer sur orbite deux satellites de navigation Galileo.
Même quand elle décolle de la Guyane Française, la fusée Soyuz nécessite la présente d'un contingent d'ingénieurs et techniciens russes qualifiés pour la campagne de lancement. Mais en réponse aux sanctions adoptées par l'Europe, l'agence spatiale Roscosmos a décidé de suspendre toutes ses activités au CSG et de rapatrier le personnel encore sur place. A ce jour, il y a 87 citoyens russes, travaillant pour le compte de NPO Lavochkin, Progress RSC et TsENKI, qui vont faire leurs valises pour retourner dans leur pays.
Quid des lancements prévus cette année depuis la Guyane ? Il est encore trop tôt pour le savoir mais il est évident que l'annonce faite par Roscosmos ne fait pas les affaires d'Arianespace. En effet, les satellites qu'il était prévu de lancer avec Soyuz ne peuvent être transférés sur Ariane 5 ou Vega car incompatibles au niveau des performances. D'ici la fin de l'année, l'Europe disposera d'Ariane 6 qui pourrait se substituer à Soyuz dans le cas où la situation s'éterniserait. La nouvelle fusée pourrait également être une alternative à la fusée russe pour le déploiement de la constellation Oneweb. Pour 2022, Arianespace prévoyait 7 lancements à effectuer depuis le cosmodrome de Baïkonour dans le Kazakhstan mais rien n'indique à l'heure actuelle qu'ils ne se feront pas.
La Russie et l'Europe collaborent sur deux missions d'exploration du système solaire dont le lancement est prévu dans le courant de cette année. L'européenne Exomars dépend de la Russie qui contribue au projet en fournissant la fusée Proton et le module de descente et d'atterrissage de l'astromobile martien baptisé Rosalind Franklin. La russe Luna 25 dispose de caméras européennes qui doivent fournir des images en temps réel durant l'atterrissage. Dans un communiqué, le directeur de l'agence spatiale européenne, Josef Aschbacher, a annoncé souhaiter poursuivre la coopération afin d'honorer les engagements pris avec les états membres et les partenaires tout en suivant de près l'évolution de la situation.
La guerre engagée par la Russie pourrait affecter l'approvisionnement d'éléments pour la fusée Vega. Le lanceur européen est surmonté d'un étage supérieur AVUM équipé d'un moteur à ergols liquides RD-868P, construit par la société ukrainienne KB Yuzhnohe. Si l'usine où sont fabriqués les moteurs venait à tomber aux mains de l'armée russe, il est fort probable que ça provoquerait tôt ou tard une pénurie de pièces essentielles.
La pénurie d'éléments critiques ne concerne pas uniquement Vega. Il en va de même pour la fusée Antares de la société américaine Northrop Grumman. Antares comprend en effet un premier étage de fabrication ukrainienne propulsé par deux moteurs RD-181 de fabrication russe. L'industriel affirme disposer de tout le matériel nécessaire pour l'assemblage de deux fusées complètes et assurer les missions de réapprovisionnement de la station spatiale internationale, mission première d'Antares. Au-delà de ces deux lancements, une évolution négative de la situation en Ukraine pourrait clouer au sol la fusée pour une longue période. Dans le cas où Northrop Grumman ne serait plus à même de remplir son contrat avec la NASA, SpaceX pourrait prendre le relai pour la desserte de la station spatiale en ajoutant des missions supplémentaires à son agenda.
Atlas V de la United Launch Alliance pourrait également payer le prix d'une guerre qui s'éternise. Son premier étage est propulsé par un moteur RD-180 de fabrication russe. Toutefois, la situation est moins critique que pour Antares. En effet, la compagnie dispose d'un stock suffisant de moteurs dans son usine de Decatur, en Alabama, pour assurer les contrats signés.
Au lendemain de l'annexion de la Crimée par la Russie, ULA avait directement réagit en lançant le développement d'une fusée destinée à remplacer Atlas V afin de ne plus dépendre d'une motorisation russe. Vulcain devrait entrer en service dans le courant de cette année et pourrait à terme remplacer Atlas V si d'aventure, elle ne disposait plus de moteurs.
Comme nous pouvons le voir, la guerre en Ukraine pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'industrie spatiale sur le long terme. Ce sont des moments comme ceux que nous vivons actuellement qui montrent à quel point l'indépendance en matière d'accès à l'espace est primordiale pour les puissances spatiales.
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