Alors que l'Agence Spatiale Européenne rendait public les premiers clichés d'Ariane 6 entièrement assemblée sur son pas de tir flambant neuf, son directeur général, l'Autrichien Josef Aschbacher, annonçait un énième report du vol inaugural du nouveau lanceur européen. Désormais, la dernière-née de la famille Ariane ne décollera pas avant la fin de l'année 2023. Si le nouveau délai est respecté, la première mission d'Ariane 6 aura pris plus de trois ans de retard.
La question légitime qui taraude dans l'esprit du monde du spatial est «qu'elle est la raison de ce nouveau report ? ». Et c'est bien là le noeud du problème. Personne ne sait vraiment ce qui se passe dans les équipes d'ArianeGroup en charge du développement du nouveau lanceur européen. Il est donc facile de se livrer à des conjectures. La situation pourrait prêter à sourire si la position dans laquelle l'Europe se trouve à l'heure actuelle n'était pas aussi dramatique.
Aujourd'hui, on sait qu'Ariane 6 n'entrera en service qu'à la fin de l'année 2023. D'ici là, Ariane 5, dont il ne reste que 3 exemplaires, aura tiré sa révérence après 27 ans de bons et loyaux services. Après quoi, l'Europe n'aura plus d'accès aux orbites hautes pendant une longue période, dont la convoitée orbite de transfert géostationnaire. Outre les quelques mois qui séparent les deux échéances citées, les clients satellites devront patienter quelques mois supplémentaires avant d'obtenir le feu vert d'Arianespace avant d'embarquer à bord d'Ariane 6, le temps de dépouiller les données du premier vol et d'apporter d'éventuelles corrections sur la nouvelle fusée. Dès lors, on peut s'attendre à une pause dans la carrière commerciale d'Ariane pendant environ 1 an.
Le risque avec ces reports à répétition et cette indisponibilité est de voir se détourner certains clients au profit de la concurrence, notamment de SpaceX qui dispose d'un lanceur très fiable mais surtout disponible.
C'est la première fois que l'Europe se trouve dans une position aussi inconfortable depuis 1979, année du premier lancement Ariane. Jusqu'à présent, la famille Ariane avait toujours su faire face à la concurrence et avait toujours un coup d'avance. Que ce soit pour Ariane 4 ou Ariane 5, le développement des fusées a été approuvé au Conseil Ministériel avant même la mise en service du lanceur précédent. A titre d'exemple, la décision d'engager le développement d'Ariane 5 par les ministres a été prise en 1987, soit 6 mois avant le premier lancement Ariane 4.
Les difficultés rencontrées sur Ariane 5 durant les premières années de son exploitation ont poussé les Européens à abandonner toute une série d'améliorations au profit d'une remise à plat du programme visant à fiabiliser le lanceur européen. Depuis, l'Europe semble se reposer sur ses lauriers sans rien proposer d'innovent en matière de transport spatial. Ce n'est qu'avec l'émergence de la Falcon 9 de SpaceX qu'elle décide de se réveiller. Pour beaucoup, notamment Frédéric d'Allest, premier patron d'Arianespace, le réveil est tardif et mou. En effet, la réponse européenne face au New Space est une Ariane 6 calquée sur Ariane 5 tout en abaissant les coûts d'exploitation.
Bien qu'elle soit largement inspirée d'Ariane 5, la nouvelle fusée européenne propose de nombreuses innovations. Sont-elles à l'origine des nombreux retards ? Il n'est pas impossible que certains équipements soient source de difficultés plus importantes que prévues. La crise pandémique qui a contraint la fermeture temporaire des différents sites à travers l'Europe et en Guyane en 2020, a certainement un rôle à jouer dans les délais mais elle n'explique pas tout et est loin de convaincre.
Depuis deux ans, la position d'Arianespace sur le marché des satellites commerciaux est en perte de vitesse. D'une part, la réponse lente et molle de l'Europe face à la concurrence a conduit la société à l'incapacité de fournir un service pour lequel elle a été leader durant plusieurs décennies. D'autre part, la situation géopolitique n'a fait qu'aggraver une position quelque peu fragilisée. L'invasion de l'Ukraine par la Russie et les sanctions occidentales qui ont suivi ont poussé cette dernière à retirer sa mythique fusée Soyuz de l'offre de lancement européenne. La guerre en Ukraine a également mis fin à l'approvisionnement de moteurs pour les fusées VEGA-C, récemment mise en service. Le stock importé est tout juste suffisant pour tenir les engagements jusqu'à la fin de l'année 2024. Au-delà de cette échéance, VEGA-C risque d'être clouée au sol pendant une certaine période, le temps de développer une alternative européenne au moteur ukrainien.
A défaut de lanceurs disponibles, l'Agence Spatiale Européenne se voit contrainte de se tourner vers SpaceX pour lancer ses satellites. C'est ainsi qu'elle va confier les sondes Euclid et Hera, prévues en 2023 et 2024, à Falcon 9. Pour Josef Aschbacher, il s'agit d'une « mesure temporaire » pour palier à « l'interruption des tirs de Soyouz et en attendant la montée en puissance d'Ariane 6 ».
Reste à espérer que la mesure temporaire soit effectivement exceptionnelle et que la situation actuelle puisse trouver une issue favorable dans les plus brefs délais, sans quoi, le transport spatial en Europe risque de devoir se limiter aux besoins gouvernementaux.
Conférence de presse tenue par l'ESA sur l'état d'avancement sur Ariane 6 (anglais) - Crédit ESA
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